FRAACTUR COLLABORATION ISSUE 01: LA PASSION

Séverine Cat a grandi à Genève, dans un univers façonné par la rigueur du monde bancaire. Rien, dans son parcours initial, ne la destinait à l’art. Et pourtant, c’est dans les interstices de ce chemin bien tracé qu’un autre langage s’est imposé à elle.

Pendant dix ans, elle a vécu à Tokyo, ville de contrastes et de silences éclatants, où elle a travaillé dans une galerie d’art, première brèche dans l’armure

Ce n’est qu’en 2022 qu’elle a décidé de s’abandonner entièrement à sa pratique artistique.

Elle crée, mais plus encore, elle questionne. Par ses autoportraits, Séverine Cat déconstruit les représentations figées de la féminité. Elle joue des stéréotypes pour en révéler la vacuité, met en scène l’artifice pour mieux en dévoiler le poids. Son travail est une quête :de liberté, d’authenticité, de reconquête. Reprendre le contrôle de son image, réécrire son propre récit.

Elle se dit obsessionnelle. Pour elle, il n’y a pas de frontière entre la vie et l’art. Chaque émotion devient matière, chaque faille, un élan. Elle ne fait pas de l’art : elle y est. Loin d’être un choix ou une nécessité, c’est une présence qui l’habite, un murmure constant. Elle ne pourrait pas dire pourquoi; c’est juste. Elle en fait.

Le temps, je le consacre principalement aux repérages, à la recherche  d’authenticité. Chaque lieu est réel, chaque décor existe tel quel, sans artifice ni ajout numérique.

Hôtels oubliés, complexes en friche, véhicules d’époque, étoffes  anciennes… Il me tient à cœur de faire émerger ces traces du passé, de leur  redonner un éclat, une forme de présence sacrée. Mettre en relique ces lieux et  objets, c’est rendre hommage à leur histoire. 


« Le désert » Séverine Cat

Dans cette série photographique, une femme en tailleur, silhouette élégante et  silencieuse, arpente un paysage désertique, traînant derrière elle une vieille valise  (symbole muet d’un passé chargé), d’un bagage émotionnel que l’on ne peut  abandonner tout à fait.

Toujours de dos, elle avance, s’interrompt, hésite, puis  reprend sa marche, comme en dialogue intime avec l’immensité minérale qui l’entoure. 

Le désert devient alors bien plus qu’un décor: il est métaphore. Celle d’une solitude  intérieure, d’un espace vierge et brut, où tout reste à construire, où tout redevient  possible. Là, dans cette étendue aride et lumineuse, chaque pas de la femme  semble graver une quête : celle de la liberté, de l’authenticité retrouvée, de la  reconquête de soi.

Dispersés çà et là, des oiseaux en papier dressés comme d’étranges épouvantails  ponctuent le chemin. Fragiles et poétiques, ils évoquent à la fois l’envol et la  précarité de nos élans, la beauté de ce qui tremble mais persiste, cette pulsion de  liberté qui anime même les cœurs les plus meurtris. 

Car cette femme fuit. Elle s’éloigne d’une vie trop étroite, de rôles imposés, d’un  quotidien qui l’enferme. Elle porte en elle un besoin viscéral : celui de se consacrer  à ce qui l’anime véritablement, d’oser enfin faire le choix de sa passion.

Et lorsque, enfin, elle se retourne, son visage n’est pas celui que l’on attend. Un  masque en dissimule les traits (masque total), oppressant, image saisissante du  carcan social, des peurs enfouies, des injonctions invisibles qui pèsent encore  lourdement sur les épaules des femmes. 

Mais ce visage masqué, elle choisit de le dénouer. Elle choisit, malgré la fatigue, le  doute, le poids des conventions, de jeter ce masque, de déposer la valise, et de  s’inventer libre.

Emmanuel Leclercq

Séverine Cat nous partage son processus créatif

Une création en solitaire, entre tension et poésie 

“Chaque image que je réalise naît d’un processus intime, artisanal, presque fragile.  Il n’y a ni équipe, ni assistant : je suis seule maître à bord. Mon iPhone pour unique appareil, un trépied ou un support improvisé pour seul complice, un minuteur  enclenché à distance… et l’instant se fige.

Je m’occupe de tout : cadrage, stylisme,  mise en scène, lumière. C’est un dispositif technique d’une simplicité extrême,  presque rudimentaire, mais c’est justement ce dépouillement qui lui confère sa force et sa sincérité.

Les shootings sont souvent l’étape la plus délicate.

Travailler en extérieur, parfois à  l’étranger, implique de voyager léger, de composer avec des contraintes  logistiques, culturelles, et climatiques.

J’évolue seul, vulnérable, exposé.

Mon  corps, parfois peu couvert, entre en tension avec certains regards, certaines  normes. Cela confère aux prises une forme de danger, d’urgence discrète. Pour  préserver un certain équilibre, j’évite les hautes saisons touristiques, cherchant la discrétion dans le silence des intersaisons.


Je me souviens notamment de la série Le désert. Ce matin-là, lors d’un simple run, j’aperçois ces oiseaux en papier portés par le vent, dans un champ labouré  qui, dans ma vision, devient un désert symbolique.

Il fallait capter cela : la lumière juste, le geste suspendu, le frisson d’un tissu dans une bourrasque. Le vent et la  pluie rendaient chaque prise incertaine, presque impossible. Les passants, intrigués par mon masque, s’arrêtaient, me parlaient. Et moi, toujours entre deux états : jamais totalement à l’aise, jamais vraiment en paix. Mais c’est dans cette tension, entre solitude absolue et présence de l’autre, que mes images trouvent leur vibration. 

Car au fond, ce que je cherche à capter, ce n’est pas la perfection d’une pose, mais cette fragile poésie du réel, là où l’intime frôle l’invisible.”


L’univers de Séverine Cat vous attend: unique, inspirant, à explorer ici