LA PASSION

L’œuvre, quelle que soit sa forme, est un prolongement de l’être. Elle est cri, prière, question, offrande. Elle est le miroir d’une intériorité mise à nue.

Chaque geste, chaque choix esthétique, chaque décision artistique, est une trace laissée sur le sable du temps, une tentative d’inscrire l’éphémère dans la durée.

Créer, c’est donc aussi résister à l’oubli. C’est affirmer sa présence.

- L’instinct de créer

Créer n’est pas seulement une action réfléchie, c’est aussi un instinct.

Un mouvement archaïque, primitif, qui traverse les siècles. L’humanité a peint sur les murs des cavernes bien avant d’avoir bâti des cités. L’art précède souvent la civilisation. Il est l’un des premiers langages. Ce n’est pas un hasard si les premières œuvres connues sont des mains peintes, des silhouettes d’animaux, des formes symboliques.

Créer, c’était déjà à l’époque une manière de dire :

"Je suis là. Voici ce que je vois. Voici ce que je ressens."

Le philosophe allemand Friedrich Nietzsche écrivait : « Il faut avoir du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse. »

Cette citation illustre à merveille le mystère de la création.

Créer, ce n’est pas produire dans l’ordre et la maîtrise. C’est accueillir le trouble, le désordre intérieur, l’inquiétude du monde, et en extraire quelque chose de lumineux, de signifiant, de vivant.

Le chaos dont parle Nietzsche, c’est ce tumulte intime, cet enchevêtrement d’émotions, de pensées, de blessures et de désirs qui anime l’artiste. Et l’étoile qui danse, c’est l’œuvre, fruit de cette alchimie mystérieuse entre ombre et lumière.

Pourquoi crées-tu ? Pourquoi fais-tu cela ? Ces questions, simples en apparence, résonnent pourtant comme des échos profonds dans l’âme de tout artiste.

Elles reviennent sans cesse, comme une ritournelle, parfois chargées d’admiration, parfois d’incompréhension.

Et la réponse, loin d’être purement rationnelle, appartient à cette zone trouble et ardente que nous appelons l’élan créatif.

Créer, est-ce une nécessité ?

Oui, mais de quelle nature ?

Vitale comme la faim ?

Existentielle comme le besoin d’aimer ?

Spirituelle comme une quête de sens ?

Il semble que créer ne soit ni un luxe, ni un loisir, ni même une simple profession :

c’est un acte fondateur, un geste de vie, souvent une réponse à l’urgence.

- Créer pour exister

Il existe en chaque artiste un feu sourd, parfois discret, parfois ravageur, mais toujours là. Ce feu intérieur pousse à extraire du chaos de la pensée une forme, une image, un mot, un mouvement.

Créer, c’est répondre à un appel intérieur, parfois difficilement explicable, souvent irrépressible. L’artiste, au fond, ne choisit pas vraiment de créer. Il crée parce qu’il ne peut faire autrement. Il crée pour ne pas se perdre, pour ne pas disparaître dans le silence du monde.

Il crée pour exister.

- Créer pour transmettre

Mais créer, ce n’est pas seulement exister ou s’exprimer. C’est aussi transmettre. L’artiste est un passeur. Il offre ses visions, ses histoires, ses formes, à celles et ceux qui regardent, écoutent, lisent. Il tisse un lien invisible entre lui et le monde.

Créer, c’est tendre la main à l’autre, proposer une expérience partagée. Chaque œuvre raconte quelque chose, même le silence d’une toile blanche ou l’énigme d’un poème sans point final.

L’acte de création est tourné vers l’autre, même s’il naît dans la solitude. Ce besoin de partage est au cœur de la démarche artistique. Il répond à une quête de sens, mais aussi à une quête de communion.

- Créer, éthique de la sincérité

Créer, enfin, c’est faire un choix éthique. Car l’artiste véritable ne triche pas. Il met sa sincérité au cœur de son geste. Il cherche, souvent à tâtons, une forme de vérité.

Pas une vérité objective, universelle, mais sa vérité – celle qui l’habite, qui le hante, qui le dépasse.

Créer, c’est donc aussi avoir le courage de se montrer vulnérable, de se confronter à ses limites, de douter, d’échouer, de recommencer.

Dans un monde saturé d’images, de discours et de simulacres, l’acte de création reste, à sa manière, un acte de résistance. Créer, c’est refuser la passivité. C’est dire : "Je pense. Je sens. Je façonne. Je propose." C’est ne pas subir. C’est chercher l’authenticité dans un monde de représentations.

Une nécessité plurielle

Alors, est-ce une nécessité ? Oui. Mais pas une seule. C’est une nécessité intérieure, existentielle, instinctive, éthique.

Créer, c’est répondre à un appel impérieux, c’est dialoguer avec le monde, c’est laisser une empreinte, c’est affirmer l’humain dans ce qu’il a de plus fragile et de plus libre.

Créer, ce n’est pas une option. C’est une manière d’être au monde.

Emmanuel Leclercq